Gilles Saussier : Si je devais distinguer abruptement ma situation présente d’artiste de mon activité passée de photojournaliste, j’utiliserais cette formule : être reporter consiste à montrer un minimum de choses d’un maximum de faits, il me plait aujourd’hui d’essayer de donner à penser un maximum de choses d’un minimum de faits. J’aimerais vous en convaincre en présentant avec Emmanuelle Cherel, les étapes du Tableau de chasse, un projet d’archéologie de mes propres images d’actualité, mené en Roumanie depuis 2003.
Le matériau d’origine de la plupart de mes projets, comme le Tableau de chasse ou Studio Shakhari Bazar, est issu de la part résiduelle de mon activité passée de reporter. Je ne travaille pas à partir ou à côté d’images et de signes puisés dans les médias mais à partir de mon expérience et de mes présupposés. En ce sens, je suis mon propre faire-valoir. Dans ce processus, je ne cherche pas à me distancier de ce que je photographie mais à me détourner de mes propres abus de langage. Je m’attache par exemple à des images qui ne sont pas nécessairement celles que l’histoire savante des images- histoire de la photographie de presse ou histoire de l’art – aurait d’emblée retenues et valorisées. Le document est pour moi ce qui vient suspendre, réfracter la projection d’un point de vue cultivé sur le réel. Images qui obligent à faire détour pour reprendre un vocabulaire emprunté à Fernand Deligny [1], c’est-à-dire qui ne mettent pas seulement en jeu la maîtrise des codes culturels dominants mais engagent aussi le photographe et le spectateur dans leur capacité à agir et se déplacer.
Nous connaissons par les yeux suffisamment de situations vis-à-vis desquelles nous ne faisons rien, qu’il nous faut admettre qu’il n’y a pas de corrélation directe entre le voir et l’agir. La diffusion du reportage au-delà de ses limites traditionnelles – des grilles du Luxembourg à Beaubourg – n’est pas le signe d’une revitalisation de notre conscience historique et politique mais plutôt le symptôme d’un rapport au monde travaillé par la logique du simulacre et par la marchandisation de l’histoire [2]. En livrant désormais leurs images à des critiques d’art plutôt qu’à des chefs de service photo, les ex-reporters et les artistes journalistes se complimentent pour leur instruction et leur ascension sociale. Mais le statut des théâtres d’actualité demeure celui d’un fonds d’écran où l’on projette en mirage sa culture sur l’autre [3]. On assiste sous une forme plus élitaire à un nouvel avatar de l’idée ancienne d’une aristocratie du reportage photographique [4] qui, transposée dans l’art contemporain, ne produit en fait rien d’autre qu’un photojournalisme de classe.
Pour ces motifs, mon propos n’a jamais été de poursuivre dans l’art une sorte de photojournalisme ‘sophistiqué’ que m’aurait autrefois interdit la presse. Aucun des projets que j’ai mené depuis le début des années 2000 ne l’a été sur un théâtre d’actualité contemporain si tenté qu’on puisse circonscrire ceux-ci [5]. Mon seul rapport à l’actualité est celui d’une position qui me fait assumer mes images passées et leur possible rapport à l’histoire par leur mise en contexte et en récit [6] vis-à-vis d’un contenu social présent. Bien que je sache, comme l’a pointé Jeff Wall [7], que dans la culture de notre temps, dominée par les valeurs du simulacre et de la marchandisation, ‘tout contenu social dépourvu d’ironie’ coure le risque d’être considéré comme ‘un résidu de l’art des années trente’, je cherche à être plus présent aux choses et aux êtres que je ne le fus en tant que photojournaliste, et qu’il ne serait souhaitable que je le sois compte tenu des orientations du marché de l’art . La photographie est pour moi un acte, avant d’être une image ou une information.
Emmanuelle Cherel : Ce sont les pressions journalistiques et la demande sociale conjuguées qui imposèrent le principe de l’histoire immédiate à partir du milieu des années cinquante. Mais peut-on parler d’une histoire de l’immédiat, c’est-à-dire de l’instantané, une histoire directe sans intermédiaire ? ‘Écrire au cœur de l’événement’ n’est-il pas un sophisme ? L’histoire immédiate est sujette à caution. Elle semble engendrer un grand paradoxe en faisant rimer deux termes contradictoires : immédiat et histoire. Or il faut noter que le facteur chronologique n’est ni suffisant, ni satisfaisant pour asseoir une définition de l’histoire immédiate. Le photojournalisme, avec ses modes de production, ses codes, son iconographie, ses mythes, en incorporant les évènements dans le cours d’une histoire immédiate, tend à aplanir les aspérités, à déformer les faits, à effacer les soubresauts, à naturaliser les productions historiques. Alors ne faut-il pas renouveler la responsabilité du photographe dans son rôle de plus en plus prisé de commentateur du présent ou de l’immédiat ?
L’histoire de l’immédiat est témoignage. C’est là sa valeur intrinsèque. Ce témoignage peut prendre la forme d’une analyse, qui, hiérarchisant une première fois les questions et les faits, fournit conjointement, archives, récits, pistes de recherches et ébauches d’interprétations. Cette histoire de l’immédiat participe à une matière à réflexion, comme toutes les histoires, au prix d’une relecture. Ainsi, cette analyse ou vision, interprétation formulée à chaud, qu’elle soit l’oeuvre d’un journaliste, d’un historien, d’un photographe doit, d’abord, être considérée comme objet historique. Certes celui qui écrit l’histoire immédiate est témoin et historien (en tant qu’il (d)écrit l’histoire), et bien sûr il n’ignore pas toujours la rigueur, mais il est également acteur, il est en relation directe avec son sujet, il peut être passif ou actif, neutre ou engagé, et dans tous les cas son oeuvre est une prise de position idéologique.
Pour être fondée, l’analyse même à minima implique donc un temps nécessaire à la consultation et à la synthèse des documents aussitôt disponibles. Dès lors, parce que l’acte d’écriture et d’analyse implique un certain recul par rapport à l’évènement, la lecture immédiate appartient au « temps présent » plutôt qu’à l’immédiat dans sa définition primitive de l’instant [8]. Cette lecture nécessite un dégagement par rapport à l’événement. Le document d’histoire doit être lu avec distance pour donner à tel évènement sa valeur historique. L’acte historique consiste à mettre l’histoire en perspective après en avoir dégagé les aspects factuels qui n’en sont que la trame. L’histoire est donc extrêmement délicate à construire.
La presse et le photojournalisme ne sont pas purs et simples reflets des faits mais le résultat d’une médiation où la connaissance du média (et de ses conditions de production) est essentielle. Il est aussi important de penser à l’image en tant que telle, en tant que phénomène et expérience que nous devons en tant que regardeur parcourir. Il est nécessaire d’observer son histoire mais aussi sa construction, et de passer par l’image pour renouveler la compréhension, pour repérer les normes esthétiques et morales, mais également les écarts et les déplacements qui invitent à ouvrir de nouvelles possibilités d’interprétation.
G.S : Poser la question du rapport des images à l´histoire exige de faire l´histoire des auteurs et des conditions de production des images. C´est ce que réalise Georges Didi-Huberman dans Images malgré tout à propos des images du processus d´extermination prises clandestinement en août 1944 par les membres du sonderkommando d´Auschwitz Birkenau [9]. Les photographies sont aussi liées à une histoire qui n’est pas seulement celle de l´art ou de la presse mais aussi des modes d´organisation sociale. L´histoire des rapports d´échange, de communication ou des relations de travail est aussi lisible à travers elles.
Une photographie de presse est donc le résultat d´une série d´opérations pratiques. L´irruption dans le champ de l´art de photographies ou de photographes issus de la presse pose pour partie les mêmes questions que soulevait Rosalind Krauss [10] dans sa critique de l´exposition de John Szarkowski Atget et l´art de la photographie au Musée d´art moderne de New York. L´intégration dans le monde de l´art de la photographie d´actualité se fait-elle dans le sens d´un élargissement ou d´un appauvrissement contextuel ? S’agit-il de passer à un stade supérieur dans le processus de fétichisation de l’image d’actualité comme marchandise ? Dans cet article, Rosalind Krauss cite L´archéologie du savoir de Michel Foucault pour encourager un examen archéologique de l´archive photographique. Cette archéologie de l´image suppose de prendre en compte les processus et les pratiques qui sous-tendent les photographies et de ne pas s’attacher seulement au résultat formel : comprendre et connaître les mises en œuvre, les arrière-plans économiques et statutaires qui permettent d’accéder à telle ou telle situation ; analyser l’usage des images, les publications, les rémunérations, les réactions suscitées...
J’aimerais prendre ici parmi d’autres deux cas de photographies d´actualité qui ont en commun de poser la question de la responsabilité morale du photographe dans le temps et de sa contribution à l´histoire. :
Les corps gisaient tout autour, au nombre de 4000, et je me trouvais dans la position de devoir faire des compositions photographiques (..) Il fallait photographier pour que le monde sache (…) Mais, au même moment, j´ai juré de ne plus prendre une seule photographie de guerre.´} Ces réflexions font écho à Maurice Blanchot: {
Il y a une limite où l´exercice d´un art, quel qu´il soit, devient une insulte au malheur´ [12]. Après-guerre G.Rodger fonde l’agence Magnum [13] et s’engage dans un projet consacré aux tribus africaines [14] qui aboutira à la publication du ‘village des Noubas’ (1955). Dans la préface du livre G.Rodger présente les Noubas comme une tribu ‘lointaine, primitive et difficile d’accès’ vivant dans une ‘véritable Afrique vierge de l’influence des blancs’. Il ne précise pas que les noubas qu’il photographie ont été déportés depuis 1923 par l’administration coloniale britannique qui instrumentalise les sports traditionnels noubas depuis les années 1920 [15]. Il présente donc un spectacle monté de toutes pièces pour lui-même, visiteur occidental et sujet britannique, comme une manifestation des traditions ancestrales des Noubas. Ironie grinçante de l’histoire, l’impact de son livre conduira Leni Riefenstahl, cinéaste du troisième Reich chez les noubas dans les années 1970.EC : Le travail de Gilles Saussier m’intéresse parce qu’il est basé, entre autres, sur une relecture de son propre témoignage, de sa propre expérience de l’histoire dite immédiate. Il interpelle les conditions de production et de la valeur d’usage de ses images. Il questionne les codes de la représentation documentaire, s’implique dans ses méthodes d’enquête et, par la même pense la relation imaginative et spéculative entre le photographe et les sujets de ses images. Il invente aussi des processus et des projets de longue durée, ce qui engendre des changements de perspective dans sa manière de considérer les faits. Enfin il propose de nouvelles données qui accroissent les puissances d’explicitation des faits historiques. Car écrire l’histoire n’est pas retrouver le passé. C’est le créer à partir de notre présent ou plutôt c’est interpréter les traces que le passé a laissées, les transformer en signes, c’est en fin de compte « lire le réel comme un texte ».
Ainsi, Saussier pose à sa manière la question du témoignage en précisant son attitude (la place de son corps, sa relation aux autres, aux lieux, aux images) et ce notamment parce qu’il considère l’image comme un acte inscrit dans une suite d’actes. Le photographe réfléchit explicitement au rapport qu’entretient la pratique artistique avec une réalité qu’elle n’enregistre pas seulement mais construit.
« On crée toujours des images dans du bruit » dit-il. L’acte de création d’une image s’inscrit alors dans un horizon d’attente composé des textes antérieurs et de pratiques sociales. Et Saussier assume le fait que le regard ait une part préconstruite qui accompagne le photographe. Il évalue son regard sur les réalités qu’il décrit et le cadre de référence qui soutient un tel regard. Cette attitude présuppose alors que l’artiste, par le biais de sa propre écriture, fait une sorte de traduction de ces données. Il s’agit d’observer, de comparer, de choisir, d’associer, d’imaginer. Il s’agit aussi de faire remarquer comment l’on a fait et où est possible cette réflexion, et ce retour sur soi, ce qui finalement revient à pratiquer une attention inconditionnée à nos actes intellectuels.
G.S : Si la photographie est un acte, toutes les images, y compris les plus modestes, les moins connues, les plus intimes ont changé le cours de l´histoire. L´histoire est un flux d´images et d´actions indissociables les unes des autres. Je songe ici au roman Un coup de tonnerre (1953) de Ray Bradbury, dans lequel un explorateur voyage dans le passé et écrase par mégarde un papillon pour revenir ensuite à un présent entièrement modifié par cet acte infime. Vues sous cet angle, les images que l’on n’a pas osées prendre, les images ratées, perdues, ou confisquées ont tout autant influencé l´histoire que celles qui ont été publiées, primées, célébrées.
Parce qu´elles ont renvoyé un seul individu à ses dimensions subjectives profondes, et aimanté sa pensée et son activité, certaines images, je pense au cliché photographique des cent morceaux soumis par le psychanalyste Adrien Borel à Georges Bataille, ont aussi durablement modifié notre histoire intellectuelle, culturelle, politique. Je cite ici Georges Didi-Hubermann qui à propos de Georges Bataille écrit [16] : `Voilà encore pourquoi Bataille accepte si généreusement, si effrontément, ce que refuse le philosophe. Il accepte le danger de l´image, il tente de conjoindre risque dialectique et risque figural. Il lui faut pour cela entrer dans la gueule de l´image - comme si l´image était un loup pour l´homme, ou tout au moins pour sa pensée claire - il lui faut donc ne pas craindre d´« illustrer » sa pensée : non pas avoir une pensée et en chercher l´illustration, mais trouver l´image juste. C’est-à-dire l’´image propice à produire de la pensée´.
En février 2004, je suis revenu à Timisoara où j’avais couvert les événements de la révolution roumaine en décembre 1989 et l’épisode de la découverte du charnier au cimetière des pauvres. Je n´avais rien prévu sinon de revisiter certains lieux et d´essayer d´identifier certaines personnes présentes sur mes photographies. Je me suis aussi intéressé à Constantin Duma qui est aujourd’hui le correspondant local de l’agence nationale de presse Tarom. En 1989, Duma avait pu faire des photographies de certaines journées avant que n’arrivent les reporters étrangers. La veille de mon départ, j’ai cherché à revoir Duma. Il était débordé et m’a proposé de l’accompagner le lendemain à un voyage de presse organisé par la fédération locale des chasseurs.
J´ignorais qu´il s´agirait d´une chasse au faisan, qu´il y aurait un tableau de chasse, que le clou de la matinée serait d´offrir à chaque journaliste participant la possibilité de tirer au fusil, mais je pressentais que cette partie de chasse pouvait être pour moi un théâtre d’actualité métaphorique et poétique. La série d’images prise ce jour-là condense tous les paramètres qui fondent habituellement l’appréciation d’une bonne image de presse. Elle intègre et rejoue la figure du reporter et de la meute médiatique, l’idée d’un bon endroit au bon moment chère au chasseur et au photographe. La seule image, où transparaît un possible point de vue surplombant de l’histoire et la possibilité d’une lecture de l’actualité réduite à l’idée de spectacle (le tableau des faisans), est compensée par les images physiques et proches des femmes au fusil qui sont des instants décisifs rejouant mes photographies de 1989. Je suis dans l’histoire aux cotés de ceux que je photographie, je ne suis pas au-dessus d’eux.
Je cherche une forme d’engagement et de corporéité qui n’est plus celle du reporter. Je suis dans ce que je photographie, j’interviens, je performe. Mes images mettent mon corps en jeu et non plus l’inverse. Je cherche un autre corps de photographe et un autre corpus d’images pour tourner le dos au fantasme qui croit qu’en engageant son corps on n’engagerait que soi-même. Parce qu’ils risquent leur vie, beaucoup de reporters s’adjugent la liberté de photographier à leur guise et de se montrer durs envers ceux qu’ils photographient. C’est ce donnant-donnant, que notre époque, célèbre jusque dans l’art contemporain ou les colonnes des grands quotidiens du soir. Une société dans laquelle la garantie d’existence du plus grand nombre se joue à travers la prise de risque de quelques-uns plutôt que par la capacité d’initiative de chacun, et où, ceux qui s’exposent volontairement - à la guerre, au spectacle, aux affaires - se ressemblent en ce qu’ils n’ont de compte à rendre à personne et disposent de leur corps et de celui des autres. Sous couvert de grandes prises de conscience collectives, le reporter vaut avant tout comme figure symbolique de cette idéologie insidieuse du morcellement des corps.
Ce que mes différents projets m’ont appris de plus précieux, c’est au contraire que je suis porteur d’un corps qui n’est pas seulement le mien. Je songe ici à une phrase de Georges Perec « J’écris parce qu’ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l’écriture ; l’écriture est le souvenir de leur mort et l’affirmation de ma vie » [17]. Ce corps rémanent est en jeu lorsque que je photographie. Il peut apparaître ou disparaître. Ce corps suggère une présence et un en-dehors de mes images qui a très peu à voir l’idée de hors champ que Raymond Depardon, depuis les années 1970, a popularisé jusque dans l’art : idée d’une photographie d’actualité réglée sur l’absence ou les absences du photographe. Mes photographies sont une tentative de rendre présent, voire de rendre au présent. C’est un dialogue entre ce qui revient et ce qui advient des présences qui m’accompagnent. Présence, car ‘réel nous sommes, ne serait-ce qu’un tant soit peu sauf que nous avons perdu l’habitude de l’être [18]’ écrit Fernand Deligny. Nous abordons le réel comme si nous le tenions en soute, comme s’il était tout entier sous l’emprise du langage - les théâtres d’actualité ne seraient plus que de grands réservoirs d’images - mais le dehors ‘suinte malgré tout notre calfatage’ [19]. Il reste alors un corps commun, dont la photographie documentaire rend compte quand elle s’attache, au-delà de l’idée même de vernaculaire, au ‘réfractaire’ plutôt qu’au ‘dénommé’ [20].
En revenant sur mes projets, strates après strates, à intervalles de temps et d’images répétés et espacés, je repère quelques sites, personnages, formes trouvées et enchevêtrées qui m’avaient obligées à faire détour. Timisoara et son cimetière des pauvres, rue Lipoveï, étaient de ces carrefours comme Constantin Duma et ce trophée de presse qui m’encombrait depuis des années.
EC : Le « Tableau de chasse » est composé de plusieurs éléments qui forment un ensemble [21]. De longs cartels resituent l’histoire de chacune des images. L’agencement spatial est déterminant : pour avoir accès à l’ensemble de la proposition, le spectateur doit se déplacer. Saussier propose un parcours physique et visuel qui reprend l’intérêt des artistes des années 1960 pour la place et l’expérience du regardeur.
Le récit n’est pas concentré dans une seule image, comme dans la peinture figurative occidentale du XVIII et XIX ème siècles. Les photographies ne sont pas des documents qui parlent d’eux-mêmes, elles prennent place dans le récit pensé par l’artiste. Leur agencement ordonne des informations, organise les images entre elles de façon signifiante. Il propose une interprétation et donne à voir une intention. Le projet est cette vision globale qui transcende la contingence de chaque prise. Dans leur succession, les images forment un texte, chaque image constitue un pont avec les autres, seule la totalité forme la thèse. La succession d’images induit une temporalité, crée un suspens, et une mise en attente. Le montage joue dans les rapports entre les photographies , s’attache à leur relation, c’est-à-dire à ce qui s’exprime par l’espace qui les sépare. Cette relation est composée d’attractions, de résistances, d’incomplétudes. La série noue et invente de nouveaux rapports qui accroissent le potentiel sémantique du texte, et cet accroissement se manifeste comme tension, transport, extension entre figuration et abstraction, narration et documentation, ressemblance et dissemblance, métaphores et paraboles.
Dans le « Tableau de Chasse », Saussier rejoue sa propre implication dans l’histoire roumaine. Il travaille en suivant des traces, par métaphores et analogies. Sa pensée intuitive lie des phénomènes, provoque des rapprochements (le geste du photographe et celui du chasseur, le tableau de chasse et la prise photographique, le trou d’une fosse et celui de l’histoire). Il cherche, prend contact, reprend contact, enquête. En retournant sur ces pas, il suit des lignes souples, des enchevêtrements, des résurgences, des coïncidences, des échos. Il accueille des imprévus et montre la trace de son cheminement.
Ce travail défend la nécessité de la réalité incontournable du lieu, c’est-à-dire d’un lieu est émis une parole, une image. Ce lieu, on peut le fuir ou on peut le fermer et on peut s’enfermer dedans, peut être fuit , mais il est également possible de l’ouvrir sans le défaire, sans le diluer. En effet, le nécessaire retour sur le terrain permet avant tout la relation. La relation est là, elle est chose qui se passe et qui imprègne, qui modifie, qui déplace et qui ouvre.
La démarche affirme que c’est par le retour sur les faits que l’on commence à voir le bout d’une nouveauté. Il faut remonter, revoir, pour creuser, reprendre le fil, la ligne, le lien, regarder et penser autrement. Il faut repriser, pour secouer l’inanimé, réanimer, sans évitement, et remettre en mouvement et en jeu pour induire une différence. Ainsi, Saussier travaille les épaisseurs (du temps, du récit, des faits, des choses, de l’image), les révèle, afin de maintenir un récit, pour éviter l’oubli et la déperdition.
Cette quête conceptuelle utilise parfois le mode de l’ironie : les tireuses sont guidées par d’autres, les yeux fermés, les doigts crispés sur le fusil, dont le bout est orienté, en oblique, vers le ciel. Ce plan rapproché d’une vision en aveugle ri des faisans alignés comme des corps - trophées trépassés- et se moque du tableau de chasse pictural, un genre qui défend l’habileté et la bravoure, la victoire sur l’animal, la nature et la mort.
G.S : Le second élément composant le ‘Tableau de chasse’ tient en une image. Un paysage de neige réalisé en 2005 dans le cimetière des pauvres où j’avais photographié le 25 décembre 1989, les dix-neuf cadavres alignés devenus le « vrai-faux charnier ». Cette image calme d’un enterrement sous la neige sans où l’on ne voit ni cadavres, ni fossoyeurs, ni journalistes, seulement une excavation fait retour sur la polémique née de cet épisode [22] sur le rôle des médias et la réalité de la révolution roumaine. Après que l’armée – une première fois- les a fait disparaître une première fois en les incinérant clandestinement, cette polémique conduira à voler symboliquement une deuxième fois leurs morts aux familles des nombreuses victimes civiles de l’insurrection. L’intérêt moral du ‘vrai-faux charnier’ (vrai pour qui ?, faux pour qui ?) tient d’abord pour moi au fait qu’ait surgi au-devant de l’histoire instruite par les médias de masse les corps de ceux auxquels celle-ci ne réserve habituellement aucune place.
Rien n’interdit les jours de révolution, de mourir d’alcool, de froid, de vieillesse ou de solitude. Qu’à la faveur des événements, ces corps sans attaches aient été un court moment envisagés, reconnus comme leurs, par les familles venues les exhumer, me touche. Je reviens souvent dans l’endroit assister parfois à des enterrements d’indigents dont je suis désormais le seul témoin et dont la mise en terre ne suscite aucun commentaire. Cette image est une manière d’imposer un silence, de continuer à accompagner les corps une fois tue l’histoire racontée par les médias.
E.C : En 2004, la fosse commune, le trou de Timisoara, esquissée par le plein, n’est visible que par les remblais qui la dessinent. Cette fosse commune est métaphore de l’inconscient collectif, d’un déficit d’histoire, d’une représentation falsifiée. Saussier ne veut pas enterrer l’image du vrai faux-charnier de Timisoara et s’oppose à l’abus de mémoire qui en est fait [23]. En retournant en Roumanie, il pose ces questions : Comment le passé fait-il irruption dans notre contemporanéité ? Finalement, le passé n’est pas libre. Il est régi, muséifié, géré, conservé, expliqué, raconté.
« Le tableau de chasse » désenfouit des possibilités qui gisent dans le passé et déconstruit le présent inauthentique. Il s’agit de répondre du passé en attente, d’actualiser l’oublié, par de nouvelles images. ‘La nouvelle méthode dialectique de l’histoire’ écrit Benjamin dans Paris capitale du XIX-Le livre des passages, ‘se présente comme l’art de connaître le présent, comme un mode de veille auquel se rapporte en vérité ce rêve que nous appelons passé.(…)Le réveil est la révolution copernicienne, c’est-à-dire dialectique de la remémoration [24]’.
La métaphore de l’image dialectique, comme celle du réveil, transforme de l’intérieur l’idée du présent comme simple transition entre le passé et l’avenir.Dans ce projet, Saussier montre que le temps historique est défini non comme une catégorie abstraite mais comme une réalité vécue, faite d’une diversité de situations concrètes chargées de toutes les tensions et de toutes les contradictions qui travaillent une conjecture historique précise. Cette diversité est celle des modalités du temps (présent, passé, futur) présentées chacune comme une expérience spécifique, irréductible aux deux autres, de sorte que mises bout à bout, elles ne dessinent nullement une ligne homogène et continue. Le trou de Timisoara montre que le sens de l’histoire ne se dévoile pas dans le processus de son évolution, mais dans les ruptures de sa continuité apparente, dans ses failles et ses accidents.
G.S : Le troisième élément du tableau de chasse est une série de portraits d’ouvriers et d’ouvrières de l’usine Elba, la plus grande fabrique de phares et de luminaires de Roumanie. Cette usine est connue comme la première à s’être mis spontanément en grève dans les premiers jours de l’insurrection de Timisoara. Pourtant il n’existe aucune photographie de cet événement [25]. Les portraits ont été réalisés en 2005 dans l’atelier de presse de l’usine où sont embouties les pièces métalliques. J’ai photographié chaque ouvrier à son poste de travail dans des conditions proches d’un reportage d’usine mais un élément extérieur perturbe ce doux réalisme : j’ai posé à côté de chacun un trophée de photojournalisme gagné avec les images de la révolution de 1989 [26]. Cette intervention dénonce la façon dont l’héroïsme des reporters vient souvent supplanter l’héroïsme des acteurs eux-mêmes des événements [27]. Elle porte également d’autres connotations : le reporter comme ouvrier modèle du stakhanovisme médiatique, la mise en présence de l’ouvrière et du trophée (le phallus du reportage). Enfin la référence à Décebal, héro national de l’histoire roumaine, qui déposa ses armes aux pieds de l’empereur romain Trajan dont la victoire est racontée par la colonne du même non à Rome. Ici s’amorce le rapprochement avec les images de la colonne sans fin de Brancusi à Tirgu Jiu - qui s’inscrit dans un ensemble monumental commémorant la résistance de la population civile de cette ville contre l’armée allemande – et l’image du vernissage au domicile de l’artiste contemporain Petru Jecza [28].
Cette photographie convoque l’ironie du modernisme et le rôle du musée moderne. Elle rappelle que la théorie du non-lieu de l’art moderne a fait très largement autorité, non seulement au sein de l’institution muséale - voir W. S. Rubin - mais elle a également constitué un des postulats de la conception de Rosalind Krauss de l’histoire de l’art moderne et plus particulièrement de la sculpture moderne dans l’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes , et le célèbre article La sculpture dans le champ élargi (1979 [29]). Dans cet article sur les nouvelles formes de sculptures, elle considère comme acquis que la logique de la sculpture était le monument et sa fonction commémorative « situés en un lieu précis ». Elle en indique symboliquement la signification et l’utilisation. Mais avec le modernisme, l’historienne établit que la production s’est organisée autour de la perte du site et du lieu. Le monument devient ‘une abstraction un pur repère ou un pur socle, dépourvu de localisation fonctionnelle et largement autoréférentiel’. La sculpture moderne est caractérisée par son nomadisme, se coupant de tout lieu réel, et explorant un espace idéaliste, étranger aux visées de la représentation temporelle et spatiale. S’appuyant notamment sur Brancusi, Krauss introduit par la suite la nouveauté de la sculpture postmoderne, catégorie qui résulterait de l’addition d’un non paysage avec une non architecture. Elle s’appuie sur l’idée du non-lieu de l’œuvre moderne comme marque de son autonomie, sans révéler cette contradiction : si l’on associe une fonction à un lieu et un non lieu à une absence de fonction, comment réintroduire l’idée de lieux sans fonction ?
E.C : Cette photographie de la maison galerie du sculpteur me semble bel et bien parler du mythe de non lieu qui perdure dans le photoreportage, et de son utilisation par le monde de l’art. L’observation des objets et faits artistiques implique pourtant d étudier leur actualité, c’est-à-dire leur caractère d’acte accompli dans le contexte d’une réalité historique. Le Tableau de chasse démontre que le fait de remémorer est un acte de conscience. Non seulement, la remémoration évoque le passé, mais elle vise à le transformer à le réinventer. En cela, elle est l’instrument de l’efficacité rétroactive du présent sur le passé. Elle établit entre deux moments du temps un lien qui sans elle n’apparaît pas et qui n’existe pas en dehors d’elle. L’affinité entre eux n’est pas donnée mais librement créée.
Avec ce saut dans la révolution roumaine qui l’entraîne vers un nouveau récit, une nouvelle écriture, Saussier sauve un moment passé du conformisme qui menace toujours de l’engloutir, pour lui conférer à la lumière de son propre présent une signification nouvelle. Il propose la vision d’une histoire où rien ne serait sacrifié, rien ne serait perdu à jamais et qui oscille entre faits, récits, objectivité et subjectivité. Si chaque moment du passé, mais aussi chaque image, peut être réactualisé, rejoué dans d’autres conditions sur une nouvelle scène, rien n’est irréparable. Le temps est ouvert, et c’est là son utopie.
[1] Fernand Deligny, Les enfants et le silence, p 201, Galilée/Spirali, Paris 1980
[2] Voir Frederic Jameson, La totalité comme complot, conspiration et paranoia dans l’imaginaire contemporain, Les Prairies ordinaires, Paris 2007.
[3] Sur la question des terrains d’actualité comme supports ou prétextes à la reproduction d’un certain nombres de formes canoniques de l’histoire du photojournalisme, et de l’histoire de l’art, se reporter à Gilles Saussier, Situations du reportage, actualité d’une alternative documentaire dans Communications N°71, Le parti pris du document, Paris Seuil 2001, p307-351.
[4] Nicolas Viasnoff et Jacques Borgé, L’aristocratie du reportage photographique, Balland, 1978.
[5] Je songe ici au film Conflits (2005) de mon ami cinéaste Karim Daher qui pose explicitement la question des limites géographiques d’un conflit. Où commence et où s’arrête exactement un conflit tel que celui de la guerre du Liban ?
[6] Je continue de penser que les artistes qui construisent des récits (Robert Adams, Roy Arden, Allan Sekula, Jeff Wall) sont infiniment plus intéressants que les artistes manipulateurs de signes, n’en déplaise à un certain public très français de l’art contemporain et de la photographie qui refuse tout travail de lecture.
[7] Jeff Wall, Essais et entretiens 1984-2001, Kammerspiel de Dan Graham, p 117-118, Ecole nationale supérieure des beaux-Arts, 2001 : Ni le Pop art, ni le conceptualisme, ne sont à même de poser leur sujet social en toute bonne foi. Tout contenu social dépourvu d’ironie y est considéré comme un résidu de l’art des année trente ; et l’art moderniste, au sens américain du terme, part du principe que cette ère est non seulement révolue, emportée par l’avènement d’un néo-capitalisme d’après-guerre, mais qu’en outre, ce fut une aberration historique profonde, causée par le choc d’idées politiques européennes de nature totalitaire : le Communisme et le Fascisme. Dans cette perspective, le ‘modernisme’ à l’américaine se présente comme le reflet culturel le plus pur de l’idée néo-capitaliste affirmant que l’ère des crises a été transcendée par une technocratie totalisante et par les monopoles privés soutenus par l’appareil d’état, et comme une anticipation bénie de « la fin des idéologies ». L’indifférence de la plupart de l’art américain d’après la seconde guerre mondiale à l’égard du social que systématise, au moins en partie, l’idéal esthétique de distanciation, toujours récurrent, de Newman à Jack Goldstein, par exemple, est un reflet du trauma produit par l’effondrement de l’idéal d’un art moderniste intégré, susceptible de porter un regard critique sur le monde
[8] voir les travaux de J.P. Rioux, P. Milza, Agnès Chaveau.
[9] Son analyse détaillée de l´identité des auteurs des images et des conditions de prise de vue, pose la question de l´identification du spectateur aux photographies. Une question que nous avions soulevée au Jeu de Paume à propos d´un texte de l´historien de l´art Bruno Haas qui insiste sur l’idée que dans l´image photographique le spectateur s´identifierait davantage au photographe qu´au sujet représenté. Voir Gilles Saussier et Emmanuelle Cherel, la place de l’auteur et du spectateur dans la photographie documentaire, p 21, dans Le statut de l’auteur dans l’image documentaire, signature du neutre, Jeu de Paume, 2006.
[10] Rosalind Krauss, Le photographique/ Pour une théorie des écarts, p 49, Macula, Paris 2001.
[11] Alors correspondant de guerre pour les éditions Time Life.
[12] Maurice Blanchot, L´écriture du désastre, Gallimard, Paris,1980.
[13] Robert Capa, David Seymour, Henri Cartier-Bresson, Georges Rodger se partagent le monde en sphères d’influence photographique à la cafétéria du musée d’art moderne (MOMA) de New York. Le continent africain échoit à Georges Rodger.
[14] Pour chasser de mon esprit les souillures de la guerre, les cris des blessés, les râles d’agonie des mourants, j’ai cherché un endroit dans le monde qui soit resté pur et vierge - l’Afrique des tribus écrit Georges Rodger dans son journal de voyage.
[15] En février 1929, le commissaire colonial britannique s’est rendu chez les Noubas pour assister à des tournois de lutte en rolls royce accompagné de trois cars de tourisme et de mitrailleuses motorisées comme le relate le Times du 9 février 1929.
[16] Georges Didi-Huberman, La ressemblance informe ou le gai savoir visuel selon Georges Bataille, p 240-241, Macula, Paris 1995.
[17] George Perec, W ou le souvenir d’enfance, Denoël, 1975.
[18] Fernand Deligny, Les enfants et le silence, p 201,Galilée/Spirali, Paris 1980, p 202 : ‘Mieux vaudrait dire que réel nous sommes, ne serait-ce qu’un tant soit peu, sauf que, depuis toujours, nous avons perdu l’habitude de l’être –réel-. Et plutôt que d’habitude, il faudrait parler d’attitudes’.
[19] Ibid L’art les bords…et le dehors p 191-196 : ‘Et reste à se demander si l’œuvre d’art ne tiendrait pas du poisson volant, de ce dehors qui n’est pas de même nature que celle qui nous est conférée par la domestication symbolique et nous embarque dans ce qui peut se dire histoire. Si le poisson volant paraît saugrenu, rien n’empêche de penser que malgré l’incessant calfatage, le dehors suinte et que vient faire cette mare qui reflète le visage de qui regarde et fait miroir sans l’être. Ca se dit que la mer miroite alors que personne ne s’y voit’.
[20] Ibid, La liberté sans nom p127 à 137.
[21] (une vitrine avec les magazines Stern…. et les photographies publiées de Saussier en 1989, cinq ou six photographies (……….) et une septième (de 10 cm sur 13) accrochées aux murs, un plot…...
[22] Voir Serge Halimi, Les vautours de Timisoara, Observatoire des médias Acrimed Action-Critique-Médias, octobre 2000 : On parla de Timisoara. Timisoara, 350 000 habitants. Ville Martyre. Le 23 décembre 1989, on chiffrait à plus de 10 000 morts le nombre des victimes de la Securitate, la police du régime. Selon l’envoyé spécial d’El Pais, « A Timisoara, l’armée a découvert des chambres de torture où systématiquement, on défigurait à l’acide les visages des dissidents et des leaders ouvriers pour éviter que leurs cadavres ne soient identifiés. « On découvrit un charnier gigantesque. D’ailleurs, à titre d’exemple, mais seulement à titre d’exemple, on exposa devant les cameras dix-neuf corps, côte à côte, plus ou moins décomposés, dont celui d’un bébé posé sur le cadavre d’une femme, qu’on imaginait être sa maman. Tous extraits d’une fosse commune. Le 22 décembre, les agences hongroise, est-allemande, yougoslave, qui seront reprises par l’AFP à 18h54, parlaient de 4632 cadavres de victimes des émeutes des 17 et 19 décembre, « soit par balles soit par baïonnette » (Tanjung), de 7614 manifestants fusillés par la Securitate. (…) Le bilan officiel des victimes pour toute la Roumanie est de 689, pas 70 000. À Timisoara, il y aurait eu entre 90 et 147 victimes, pas 12 000. Et, comme le remarqua Jean-Claude Guillebaud, « 90 morts dans une ville de province, c’est beaucoup ».
[23] Abus de mémoire dont un exemple flagrant a été l’emploi d’une image du charnier de 1989, et non de la reproduction d’une des œuvres exposées, pour illustrer dans les colonnes du Monde l’article de Michel Guerrin consacré à l’exposition ‘Covering the real’ au Kunstmuseum de Bâle dans l’édition du Monde du 28 juillet 2005.
[24] Paris, capitale du XIXème. Le livre des passages, Paris, réédition du Cerf, 2002, p 406. première publication Suhrkamp Verlag, Frankfurt am main, Das Passagen- Werk, 1982.
[25] Voir sur cette question de l’absence d’images l’excellent texte d’Yves Michaud, Critiques de la crédulité, la logique de la relation entre l’image et la réalité, Etudes Photographiques N°12, Novembre 2002 : Cette extrême contingence de l’image, qui explique pourquoi de la plupart des événements les plus graves et les plus tragiques il n’y a aucune image, devrait faire réfléchir sur les documents qui existent en s’interrogeant sur leur existence à partir de tous ceux qui n’existent pas et qui auraient pu, voire dû, exister : par quel miracle une prise de vue nous arrive-t-elle ?
[26] Le trophée du jeune reporter du festival du scoop et du photojournalisme d’Angers gagné en 1990 avec mon reportage sur la révolution roumaine à Timisoara.
[27] Voir par exemple Claude Quétel ,Robert Capa, l’œil du 6 juin 1944, Hors série découverte Gallimard, 2004.
[28] La galerie de Petru Jecza et de son épouse, principale galerie privée de Timisoara, est située 51-45 route du martyr, anciennement dénommée route de Girok. Petru Jecza a réalisé plusieurs monuments publics à Timisoara à la mémoire des martyrs de la révolution. Ces monuments lui ont été commandés par l’association roumaine ’Mémorial de la révolution de Timisoara 16-22 décembre 1989’.
E.C : Cette photographie d’un vernissage au domicile de l’artiste roumain Petru Jecza est un pied de nez à la lecture moderniste de l’art. À Bâle, cette photographie était cachée à l’arrière d’une cimaise, au fond de salle, et pouvait passer inaperçue. À la galerie Zürcher, accrochée à l’entrée, elle est la première image que l’on voit. Dans cette maison galerie, les sculptures ressemblent à des trophées d’art moderne. À trois cents kilomètres du site de Tïrgu Jiu, l’art moderne devient trophée[[L’ensemble de Tirgu Jiu est un ensemble monumental composé de trois pièces (La table du silence, la Porte du baiser et la Colonne sans fin) qui se déploient sur un axe de plus d’un kilomètre et demi perpendiculaire à la rivière. La Colonne sans fin, allusion à la vieille légende roumaine de la colonne qui soutient le ciel, met en lien la sculpture et son environnement. Cet ensemble n’est pas sans relation avec le style (architecture et ornements) de la maison de l’artiste et des arts populaires de cette région de Roumanie.
[29] L’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes, publié par MIT, Cambridge 1985, traduction éditions Macula, Paris, 1993.