Envers des villes, endroit des corps, est un projet centré sur les communautés riveraines ou insulaires les plus précaires du territoire de l’estuaire de la Loire (habitants des HLM de Malakoff à Nantes, sans papiers du marais voisin, travailleurs fluviaux à Ancenis, sans domicile fixe à Saint-Nazaire) soumises à la spéculation foncière et à la pression économique de l’aire métropolitaine Nantes Saint-Nazaire.
Entre 2003 et 2004, je suis intervenu à Nantes dans le cadre de la destruction programmée de plusieurs immeubles HLM dans le quartier de Malakoff à l’invitation de l’association Peuple & Culture 44. Cette intervention s’est traduite par la création d’un lieu d’exposition, baptisé L’appartement témoin, dans deux appartements promis à la démolition. Le premier logement était un espace vide, spéculatif, où se visitaient mes installations photographiques mêlant miroirs et portraits d’habitants. Le second, un espace plein, anthropologique, où s’inventait un intérieur fictionnel meublé avec des encombrants et des objets glanés auprès des habitants lors des déménagements. Pendant deux ans, L’appartement témoin a accueilli : lectures, débats critiques entre architectes et habitants, ateliers radiophoniques, projection de films.
Dans un contexte de colonialisme rentré où les populations à soumettre ne sont plus celles de l’outre-mer mais de la proche-périphérie nantaise, mon activité s’est poursuivie en se centrant sur les formes d’habiter les plus précaires et les moins considérées. J’ai réalisé en 2005 avec le sociologue Jean-Yves Petiteau, l’itinéraire d’une jeune femme venant en aide à des sans abris russes campant dans le marais de Malakoff à Nantes tandis que tombaient les premiers immeubles. Cette collaboration s’est poursuivie à Saint-Nazaire en 2007 où nous avons enquêté sur Didier Harel, un SDF retrouvé mort sur un banc. Corps flottant dans la ville dont nous avons recherché l’empreinte et les attaches en demandant à des personnes l’ayant connu à différentes étapes de sa vie de nous conduire sur ses traces.
Inspirés par Didier Harel, ces parcours dans Saint-Nazaire déplacent les questions de l’habiter (qui est dehors, qui est dedans ?), de l’étranger (comment devient-on étranger à sa propre ville ?), de l’hospitalité (quels lieux d’accueil pour les SDF mais aussi pour l’art en prise avec les questions sociales ?). Leur restitution prit la forme d’un livret d’artiste et d’un dispositif d’exposition expérimental Logé chez l’habitant (2008) dans lequel les photographies des itinéraires étaient hébergées et ouvertes à la visite chez des particuliers en différents points de la ville.