La création de L’Appartement-témoin a résulté d’une commande passée par l’association (Peuple&Culture Loire-Atlantique) dans le cadre du grand Projet de Ville de Nantes. Ouvert de 2004 à 2005 dans deux bâtiments successifs de la cité Malakoff, ce lieu éphémère d’activité et d’exposition jouait avec l’idée de lieu repère, référant. Le terme même d’appartement-témoin posait la question de celui qui a vu ou entendu quelque chose et qui peut le rapporter. Autrement dit, son concept s’appuyait sur le fait que tout habitant de Malakoff était spectateur d’un fait collectif : la politique urbaine de la ville.
Situé d’abord rue du Pays-de-Galles dans deux logements promis à la démolition, L’Appartement-témoin réunissait deux T4 se faisant face sur le même pallier.
Le premier appartement était un espace plein anthropologique, où avait été recrée un intérieur témoin à la façon d’un éco-musée à partir de meubles et d’objets glanés auprès des 160 familles délogées de cette barre d’immeuble HLM. Ce premier espace proposait des ateliers d’écriture, des débats radiophoniques, des rencontres avec des architectes et des urbanistes. Le second appartement, laissé vide, avait été transformé en espace d’exposition pour des installations photographiques composées de miroirs et de portraits.
A mon arrivée dans la cité Malakoff, je m’étais déjà posé en témoin. Un tiers des 160 familles avait déjà déménagé. Suivant les entretiens individuels de relogement par les services du bailleur social, je pris la décision de ne photographier les habitants que les jours des déménagements et des visites de relogement. Les portraits produits sont ceux de gens mobiles, parfois désorientés ou concentrés, se projetant mentalement dans un nouvel espace vide à habiter. Les installations combinant portraits et miroir font référence aux quadri specchianti de Michelangelo Pistoletto et à la dimension spéculative des vues sur Loire qu’offraient les logements détruits.
On conviendra que c’est l’extériorité que problématise Saussier. A l’inverse d’un modèle psychologique où le moi existe plein de ses significations avant d’entrer en contact avec le monde extérieur, elles permettent une expérience qui admet que le moi se réalise en s’extériorisant. La vision et la représentation de soi et de l’autre se modifient sans cesse. dans l’expérimentation. (...) Autrement dit, les photographies de Saussier ne font pas image. Elles renvoient le spectateur à sa propre définition. Celui-ci est pris dans une confrontation entre la perception de lui même en tant qu’image et ce qui mine cette perception, entre vision et engagement dans la vision (et par là même une forme particulière de corporéité), entre formes fixes et formes mouvantes, variables à l’infini. Partages d’une réalité et d’une fiction, les propositions de G. Saussier ne fixent pas les gestes et un récit, mais, bousculent le travail de définition stable de la mémoire des images. La photographie, cette trace fragile, circule entre les corps et les regards. Le spectateur, n’est assujetti à aucune juste place. Engagé dans la complexité du processus représentationnel, il reste libre, dispose de ses mouvements, de ses émotions et de ses jugements. Son regard se déplace en même temps que les objets et sa pensée (même théorique) est migrante.
Emmanuelle Cherel : L’Appartement-témoin, de l’invité au citoyen, Revue 303, 2004.